Au ras du gazon

Publié le par François Ihuel

 

La nature qui fait peur aux hommes

 

Au ras du gazon

Le vrai ne se maquille pas.

J’ai toujours laissé faire la nature. Elle n’a pas besoin qu’on la corrige pour être belle, ni qu’on la dompte pour être juste. Elle pousse, elle s’étale, elle s’invente sans demander l’avis de personne.

Et pourtant, jamais rien en elle n’est de trop. Même ce qui semble inutile a sa raison d’être, une raison que l’oeil humain ne comprend plus parce qu’il s’est trop habitué à mesurer le monde à sa propre échelle.

Moi, je ne taille pas, je regarde. Je ne choisis pas, je laisse venir. Et dans ce simple geste de non- intervention, il y a une paix que les humains ont perdue. Ils veulent tout redresser, tout arranger, tout repeindre.

Ils croient embellir, mais ils effacent. Ils plantent des fleurs calibrées, arrosent avec des horaires, désherbent ce qui ose vivre sans leur autorisation.

Ils appellent ça “entretenir”, comme si la nature avait besoin d’un gardien pour exister. Le vrai drame, c’est qu’ils ne voient même plus la différence entre vivre et organiser la vie.

Regarder une montagne après la pluie : c’est là que tout est à sa place. Le sol fume de brume, les feuillus lavés reprennent leurs teintes d’or et de cuivre, et chaque tronc humide respire l’odeur d’un temps qui ne ment pas.

Rien n’a été décidé, et pourtant tout est parfait. La perfection du désordre, la justesse du hasard. C’est cette harmonie sauvage que j’aime, celle qui ne demande pas d’autorisation pour exister.

Les humains, eux, ne supportent pas le naturel. Ils disent “propre”, “soigné”, “aménagé” ̶ des mots qui tuent la vie sans qu’ils s’en rendent compte. Leur obsession du contrôle les rend aveugles au miracle ordinaire : celui d’un brin d’herbe qui perce le béton, d’une mousse qui tapisse une pierre, d’un insecte qui trouve sa route dans un fouillis de racines.

Ils ne comprennent pas que ce fouillis, c’est le langage même de la Terre. Quand je marche seul dans la montagne, je sens parfois une forme d’accord entre mon silence et celui du monde. Ce n’est pas de la solitude, c’est une présence : celle de ce qui vit sans paraître.

Je me dis que la nature, elle, n’a jamais trahi personne. Elle ne promet rien, mais elle donne tout. Les humains, eux, promettent tout, mais ne savent plus donner. Ils vivent dans l’artificiel parce qu’ils ont peur du vrai.

Peur de leur propre visage sans masque, peur du temps qui passe, peur de la mort surtout, qui leur rappelle qu’ils ne sont qu’une poussière parmi les autres.

Alors ils se déguisent, ils construisent, ils s’enferment dans un monde où tout brille, mais rien ne vit. Ils appellent ça le progrès. Moi j’appelle ça la fuite.

Je préfère mille fois la rugosité d’une pierre au lisse du plastique, le craquement d’une branche à la voix mécanique d’un écran, le désordre d’un sous-bois au carré parfait d’une pelouse stérile.

C’est peut-être pour ça que je n’aime pas les humains. Ils ne fonctionnent plus que dans l’artificiel. Et dans leur besoin d’illusion, ils ont perdu le goût de la vérité simple : celle qu’on respire, qu’on touche, qu’on regarde sans comprendre.

Moi, je n’ai pas besoin de comprendre. J’ai juste besoin que ça vive. Et tant qu’il restera un coin de terre où l’herbe pousse sans autorisation, je saurai que la nature n’a pas encore rendu les armes.

François Ihuel

Bonne nuit à tous

 

Pour me rejoindre, continuer à me suivre et partager ce blog,  inscrivez-vous à la rubrique "s'abonner" — Newsletter— du bandeau droit de cette page 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article