Versailles ce n'est pas versailles
Malade, j'ai le sommeil agité et interrompu.
Il est deux heures du matin, ne pouvant dormir, j'écris.
Nez bouché, yeux douloureux, mouchoirs à foison, remèdes encore peu efficaces, je repensais, en cherchant le sommeil, à ces gens malades des temps anciens, au XVIIème siècle particulièrement, s'il fut celui des lumières il a aussi été un des plus sales de notre histoire, sales au sens hygiène bien sur, et puis aussi dans d'autres sens.
Mais allons y voir.
Le château de Versailles.
Que je connais très bien pour l'avoir visité plusieurs fois et pour y avoir emmené des touristes pendant des années.
Versailles d'aujourd'hui c'est le château, bien sûr, mais aussi ses alentours, la ville ancienne (Dont il ne reste plus grand chose d'époque) mais aussi Saint Cyr et son institution créée par Mme de Maintenon, la femme "cachée" de Louis XIV, en fait sa troisième favorite officielle qu'il épouse en petit comité en 1683 après la mort de la Reine marie-Thérèse, infante d'Espagne et épouse légitime du roi.
On peut considérer Mme de Maintenon comme quatrième favorite si on inclus Mme de Fontanges bien que cette dernière soit arrivée après, sa mort rapide, qui serait l'oeuvre de Mme de Montespan, l'a fait passer à la cour comme un éclair.
Je pourrais en mettre des pages puisque c'est une des périodes de l'Histoire que je connais la mieux.
Cessons un instant d'être en 2016, mettons-nous dans le contexte de ces années 1680 - 1715, l'apogée et le déclin du roi.
Louis XIV réside de façon permanente à Versailles en 1682 après 18 ans de transformations pharaoniques, les travaux de construction ne le permettant pas plus avant bien qu'il y donna quelques "soirées" en avant première et beaucoup de fêtes somptueuses.
Il n'existait pas de sanitaires à proprement parler, il y avait des lieux réservés aux besoins naturels mais pas du tout équipés de conduits d'évacuation pas plus que d'apport d'eau, ce devait être pestilentiel, surtout en été.
Pas des lieux aménagés, juste des endroits privilégiés où du sable servait de "solvant" aux excréments.
Lors des fêtes qui rassemblaient de très nombreux invités les besoins se faisaient au petit bonheur, sous les escaliers, dans les recoins peu usités et peu visibles, des valets étaient désignés pour ramasser ce qu'ils pouvaient, ne pas croire que toute cette sanie restait en place, leur rôle, très ingrat, (Punition la plupart du temps) consistait à dégager les résultats de ces gens de cour et de déverser le contenu dans les jardins adjacents, un engrais on ne peut plus naturel.
Avec une "cour" permanente d'environ 3 500 courtisans le château comptait environ 6 000 à 7 000 personnes, visiteurs, courtisans de passage, valets et domestiques compris, pas trop difficile d'imaginer le fonctionnement intestinal de tout ce beau monde.
Bien entendu tous ces gens ne logeaient pas au château, la majorité louait des habitats, voire des chambres dans la ville même, paradoxe d'une société conditionnée autour d'un unique monarque, les plus riches n'étaient pas forcément les plus en vue mais pour parader au plus près du roi certains nobles se sont ruinés alors que d'autres ont fait fortune.
Les machines de Marly. (Du moins ce qu'il en reste)
Situées à Marly-le-Roi, plus exactement sur la commune de Bougival en bord de Seine, ces machines de pompage de l'eau, exceptionnelles pour l'époque, avaient pour rôle d'alimenter le domaine du roi à Versailles, domaine dix fois plus grand que ce qu'il est aujourd'hui, la révolution est passée par là.
Ces eaux ne servaient pas à se désaltérer, située en aval de Paris les eaux de la seine étaient très polluées, pas de la même façon que maintenant par produits chimiques, la ville de Paris ne possédait pas de station d'épuration, ces éléments ne sont apparus qu'au début du XXème siècle bien qu'il y ait eut quelques installations artisanales antérieures.
La totalité des eaux usées de Paris se déversait donc dans la seine, les premiers égouts datent des romains, égouts à ciel ouvert.
Les premiers égouts "souterrains" sont construit sous François Premier, en fait des galeries grossièrement maçonnées, pas assez de pente, vite engorgées, ces galeries étaient plus nuisibles qu'utiles, la sanie était partout. (Considérer Paris de l'époque, soit l'Ile de la Citée, l'Ile Saint louis et la petite périphérie, l'Odéon et Saint-Sulpice d'un côté et les portes Saint-Denis et Saint-Martin de l'autre)
La ville de Paris déversait en seine la totalité de ses eaux usées, la plupart des rues étaient incurvées en leur milieu pour "canaliser" les eaux chargées d'excréments et de déchets des nombreuses officines diverses qui traitaient de tout ce qui était indispensable au fonctionnement de la ville, tanneries, abattoirs (Artisanaux de l'époque), fermes, très nombreuses, et bien d'autres usages.
Quand on y ajoute les évacuations d'immondices, dont le ruissellement des eaux de pluie était chargé, on imagine aisément les conditions sanitaires des villes à population "intense".
On a donc une idée plus précise de ce que pouvait charrier la Seine quelques kilomètres en aval, bien que les machines de Marly soient équipées de filtres, rien à voir avec ceux de maintenant, juste des grilles successives au maillage de plus en plus fin qu'il fallait nettoyer en permanence.
L'eau de consommation de Versailles venait des puits, ces derniers, pas très nombreux et pas toujours très sains, suffisaient à peine, si la vaisselle du château était nettoyée avec l'eau des puits celle des autres domaines environnants l'était souvent avec les eaux de la Seine ou des sources diverses.
Le domaine de Versailles est posé sur d'anciens marais insalubres, des eaux dormantes, donc non régénérées par le courant, les nappes phréatiques restaient les seules à garantir une eau à peu près potable.
Le siècle de Louis XIV reste celui qui serait le plus sale (En fait c'est faux mais ce serait trop long à développer), se laver était proscrit, on attribuait à l'eau des conséquences néfastes pour la santé (Ce qui était vrai vu l'état de l'eau du fleuve et de ses affluents en agglomération et plus encore à Versailles), l'eau consommable étant insuffisante à tout ce monde.
Les gens ne se lavaient pas pour ces raisons, les parfums plus ou moins de qualité compensaient, imaginez un seul instant une réception par temps de froid dans la galerie des glaces du château, des centaines de personnes confinées, exhalant des effluves de crasses mélangées aux divers parfums, les haleines pas toujours fraiches, les fumées des milliers de candélabres, les effluves des déjections des coins sombres et vous avez déjà une idée de ce que ce pouvait être.
On est loin du cinéma qui nous brosse un cadre fastueux sous lumières électriques.
L'habitat au château.
En dehors des grandes salles d'apparat, des appartements du roi, de la reine, des princes et princesses ainsi que des favorites, la quasi totalité des logements des courtisans ne consistait qu'en de minuscules pièces basses de plafond, pour loger tous ces nobles avilis il fallait de nombreuses pièces.
Le château, bien qu'immense, ne pouvait à lui seul assurer ce rôle, c'est aussi la raison pour laquelle les avenues principales de la ville sont bordées de résidences "royales" qui ne devaient, toutefois, pas être plus hautes que le château, prestige royal exige.
En fait ceux qui y passaient leur temps de cour étaient mieux lotis que ceux qui restaient au château, la plupart des riches nobles payaient donc des "locations" en ville, ceux qui étaient moins argentés, les plus nombreux, restaient au château, logés gratuitement ils avaient devoir de soumission et d'obéissance sans faille, c'était le prix à payer pour être bien vu en cour.
Avec ses plus de deux mille pièces il bat largement tous les habitats modernes de maintenant, juste réaliser que c'est sur une superficie de 60 hectares habitables.
La valetaille était logée au château, ces gens indispensables devaient être immédiatement disponibles, quelle que soit l'heure, les valets "royaux" étaient près de la chambre du roi et de la reine, de minuscules pièces sans confort mais ayant l'avantage d'être "chauffées" contrairement à la plupart des "logis" du commun.
Les pièces réservées aux courtisans n'étaient pas non plus chauffées à de rares exceptions près, dépourvues de cheminée la promiscuité compensait.
Il parait d'ailleurs inconcevable d'alimenter en bois à bruler cet immense édifice, dans un sens ça permettait aussi de restreindre la prolifération bactérienne, il y avait bien entendu des domestiques attitrés au ménage mais loin de ce qui est aujourd'hui, il n'y avait que du savons noir de base qui ne servait qu'à laver les pièces royales, les grandes salles et les bureaux divers attenant au château (Aile droite et aile gauche dédiées aux affaires et à la politique).
Chacun des autres courtisans devait prendre soin de son "logis" fonction de son rang et de ses moyens, si les valets royaux n'étaient pas rémunérés (Logés, nourris, blanchis (Fringues, pas la toilette)) le reste de la domesticité se faisait payer des gages pour entretenir les courtisans, sachant que beaucoup de ces derniers dépensaient la quasi-totalité de leur argent en vêtements de parade et de cour on imagine aisément l'état sanitaire de certains secteurs du château.
Contrairement à ce que beaucoup croient aujourd'hui les privilèges étaient très restreints, le roi n'aimait pas qu'on puisse lui faire de l'ombre, en dehors de quelques exceptionnel proches il était plutôt avare, envers les courtisans, des deniers de l'Etat qui se confondaient très souvent avec le train de vie de la cour. (Ça n'a pas vraiment changé, seule la dénomination s'est officialisée).
A cette époque il n'existait pas de sous-vêtements, si le roi et la famille royale possédaient des culottes sous leurs chausses c'était surtout dû à la nécessité de se garantir du froid en hiver, l'été les toilettes étaient légères bien que pesantes, le coton n'était pas encore très connu, la soie, le lin, les velours et autres tissus d'époque ne se prêtaient pas à l'hygiène corporel, loin s'en faut, les maladies couraient tout au long de l'année.
Si on devait, aujourd'hui, vivre subitement dans les mêmes conditions qu'à cette époque beaucoup n'y survivraient pas.
Ces charmants compagnons de l'homme.
Tout le monde connait, à notre époque les moyens de lutte sont très développés mais la prolifération subsiste, ces nuisibles sont pourtant utiles, ils permettent d'éliminer de plus grands prédateurs invisibles, les bactéries nuisibles, ils ont aussi l'utilité d'ingérer les excréments et les pourritures.
La principale crainte des gens des siècles passés c'était la mortalité par maladie, la mortalité infantile était très élevée, ce qui sélectionnait les humains en ne laissant viables que les plus solides contrairement à maintenant où on s'acharne à faire vivre même l'impensable, mais c'est une autre histoire et ce sera un autre sujet.
La vermine pullulait en ces temps sans hygiène, les literies constituées de plumes de volatiles, de broyage de végétaux, étaient le foyer idéal pour la prolifération des divers acariens et insectes, ajouté à cela le manque presque total d'hygiène corporel et voila de quoi nourrir et entretenir une "faune" urticante à grande échelle.
Si les cuisines de Versailles abondaient en denrées diverses il en découle logiquement un gaspillage colossal et des détritus passant rapidement en décomposition.
La valetaille était nourrie des énormes excédents de denrées diverses, c'en était aussi le but, les conditions de conservation des éléments nutritionnels n'avaient rien à voir avec nos modernes réfrigérateurs, si pour la cour il existait des "glacières", en sous-sol, près du château, alimentées par les glaces d'hiver elle permettaient de maintenir fraiches certaines denrées pas trop sensibles (Donc ni viandes ni charcuteries) ainsi que la confection de boissons fraiches.
Creusés profondément, les puits de glace duraient plusieurs mois, les conditions climatiques de l'époque étaient propices à la conservation de la glace, bien plus facilement que ce pourrait l'être aujourd'hui dans les mêmes conditions.
Il faut dire que sur une période d'environ trois cents ans la terre était bien plus froide que maintenant, la révolution Elliptique de la terre autour du soleil, à cette époque, était bien plus étendue qu'en ce moment (Ce qui fait dire et écrire beaucoup de conneries sur le réchauffement climatique) ce qui fait que les étés étaient bien plus froids, donc mauvaises récoltes, moindre réchauffement des sols, conditions idéales pour des hivers longs et rigoureux.
Entre 1690 et 1710 la France a connu sa plus désastreuse période de froid, certains la nomment "mini période glacière", ce qui a été un des facteurs déclencheurs de la révolution française, mais je ne vais pas développer on y serait encore dans une semaine.
Les maladies dues à la vermine ont tué tout autant que le froid lui-même, les populations vivaient confinées, les humains compensaient le manque de chauffage par la promiscuité, facteur favorisant la propagation des maladies.
A Versailles les couches de vêtements, jamais ôtés pendant des semaines, favorisaient l'éclosion des poux, des punaises de corps (Morpions), les rats pullulaient dans les sous-sols, véhiculant les virus mortels, la variole sévissait partout (Appelée "petite vérole à cette époque).
Les populations décimées, sans distinction de rang social, n'avaient pas non plus de quoi se nourrir, c'est d'ailleurs à cette époque que Louis XIV a fait fondre la totalité de la vaisselle en or massif de Versailles pour venir en aide à son peuple, geste dérisoire mais symbolique vu l'ampleur du désastre.
Les nobles, se pensant au-dessus du peuple (Comme maintenant sauf qu'on les ne appelle plus nobles mais politiciens) disparaissaient aussi vite que les populations, la famille de Louis XIV a été presque entièrement décimée, soit par la guerre soit par la maladie, le conte de Vermandois légitimé, fils de sa première favorite Mme de La Vallière, Louis de Bourbon était le premier dans la ligné à accéder au trône.
Dépravé et violé à treize ans par le chevalier de Lorraine, favori de Monsieur, frère du roi, il a voulu se racheter et rentrer dans les bonnes grâces du roi son père, amiral à seize ans il est mort sur le front de Flandre d'une maladie qu'il n'aurait pas contracté s'il était resté à la cour, c'était un des rares enfants solides de Louis XIV.
Les perruques portées par la noblesse de cour favorisaient aussi la prolifération de la vermine, les poux avaient là un habitat de choix, bien prendre en compte que les gens ne se lavaient pas, la peur d'être contaminé par l'eau les obligeait à s'oindre de parfums divers, certains contenant des poudres légèrement empoisonnées pour tuer les poux.
Le dosage n'étant pas celui de maintenant les décès dus aux empoisonnements lents étaient fréquents, le roi lui-même était "drogué" à son insu, Mme de Montespan, jalouse comme une tigresse, voulant garder le roi pour elle seule, lui faisait avaler des mixtures composées par La Voisin, une apothicaire de Paris qui avait les faveurs de la noblesse, l'obtention de privilèges passant par de subtiles décoctions éliminant facilement la concurrence, les nombreuses maladies et les accidents de chasse passant pour en être la cause.
Alors Versailles ce n'était pas Versailles comme semble démontrer une certaine aisance d'aujourd'hui qui veut que cette appellation passe pour démontrer qu'on est dans ses aises, dans l'opulence, dans la santé et la sérénité.
Beaucoup de livre sont écrits sur Versailles et la cour, peu sont réalistes, la plupart brossent une fausse image du siècle des lumières, alors pour ceux qui s'y intéresseraient je leur conseille de bien choisir les auteurs et surtout de faire des comparaisons et des recoupements, une seule lecture n'apprend rien.
Les populations du XVIIème siècle.
La majorité des français vivait en milieu rural, les terres n'étaient pas étendues comme maintenant, on comptait une ferme pour mille habitants, c'étaient des cultures familiales, toutes au services d'un seigneur elles ne rendaient pas assez pour assurer la pérennité des paysans d'autant qu'on ne leur laissait pas grand-chose, tout juste de quoi ne pas mourir de faim.
En ces périodes où les étés étaient pourris, les cultures étaient misérables, la multitude compensait les carences.
Toutefois les paysans s'en sortaient plutôt bien par rapport à certaines populations citadines, les villes étaient insalubres, il y régnait la loi du plus fort, la prévôté n'avait pas une grande efficacité, surtout en campagne.
Un croquis d'une maison de 1670, une photo de maisons de la fin du XVIIème siècle, à Auxerre, que je connais bien aussi.
Ceux qui étaient les mieux lotis étaient les bourgeois (Encore aujourd'hui) la plupart plus riches que les nobles assumaient aussi les populations laborieuses, par le travail mais aussi par l'assistanat, le clergé, très riche, assumait l'autre partie de la pauvreté.
Les populations qui avaient une spécialité arrivaient à vivre à peu près correctement, la noblesse avait un grand besoin des artisans, les armées occupaient aussi une grande place dans l'économie.
On peut considérer que les deux tiers des français mangeaient tous les jours, pas forcément à leur faim mais suffisamment pour fonctionner.
Henri IV avait mis en place un fonctionnement administratif qui permettait au peuple de faire valoir des droits, ces droits ont été maintenus jusqu'à Louis XVI mais ne dépendaient que du bon vouloir des seigneur (Les Nobles), c'est dire que la répartition n'était pas équitable (Aujourd'hui non plus d'ailleurs mais sous une autre forme).
La révolution a changé bien des choses mais pas toujours en bien, l'oppression des populations a paradoxalement augmenté vers 1810, en plein règne de Napoléon Premier, ce sera une autre page.
Il est bien tard, la suite dans quelques jours, peut-être demain si je suis en meilleurs forme.
Bonne soirée à tous.