Nos années 1950 (1)
Comparer l'incomparable c'est impossible, que feraient
les enfants d'aujourd'hui dans les situations d'hier ?
Commençons par le début.
Août 1924, ma mère, Marcelle Louise Bailly, la photo est abimée, une des rares photos rescapées du bombardement sur Ivry, le 31 décembre 1943, et retrouvée dans les ruines encore fumantes de sa maison écroulée, je l'ai restaurée du mieux que j'ai pu pour n'en pas supprimer les traits.
Sa mère, hélas, n'a pas eu cette chance, elle est décédée dans cette maison, par un hasard douloureux : Ayant oublié le chat, alors que les sirènes hurlaient l'alerte à l'approche d'avion américains, elle est retournée pour le récupérer, c'est à ce moment-là qu'une bombe est tombée sur la maison, tuant le chat et ma grand-mère maternelle, ma mère m'en a fait un récit poignant et détaillé, voir mourir sa mère dans ces conditions c'est quelque-chose de difficile à oublier, surtout quand on a 20 ans.
Née le 5 Juin 1923, à Paris XIII ème, son enfance a été mouvementée, la vie n'était pas rose pour les indigents ; adolescente en pleine occupation c'est une jeunesse meurtrie dont la principale occupation ne consistait qu'à trouver de quoi manger tous les jours, et pas toujours à sa faim.
Sa famille est arrivée à Paris en 1871, issue des campagnes champenoises, plus précisément du côté de Vandœuvres et Bar-sur-Aube, fuyant les troupes prussiennes qui envahissent le nord-Est de la France, issue de paysans champenois, mais aussi de bucherons, ces réfugiés venus de l'Est étaient mal accueillis à Paris, devant subvenir à leur survie sans aide de l'état français, Napoléon III en déroute fuyant en Angleterre, la vie était précaire.
La dureté des épreuves, et la solidité de la race, ont fait qu'ils sont parvenus à s'intégrer aux parisiens pour que la descendance devienne parisienne.
Mon père en 1930.
Né le 13 Octobre 1923, à Paris XIV ème, de parents pur bretons, d'un lignage pur breton, il est breton, originaire du Morbihan la famille Ihuel est aisée, voire riche, possédant fermages et métairies rien ne manque.
Sauf peut-être le relationnel familial, quitter la Bretagne pour s'installer ailleurs c'est signer une interdiction de retour, en ces temps, ou l'ancrage dans les traditions était énorme, il fallait aussi rester breton en Bretagne, pas breton à Paris.
Sa jeunesse s'est passée en internat de religieux, il y a passé toute son enfance et une grande partie de son adolescence, peu aimé par sa mère, son père trop tôt disparu, il s'engage dans la gendarmerie, incorporé le 28 Février 1944 il suivra l'instruction militaire dans différents lieux, Brive pour commencer.
Dans quelques temps je ferais une page spéciale sur cette période.
1952, Paris.
Quatrième d'une fratrie de six, dont deux pas encore nés sur la photo, je découvre mon environnement, comme tous les gosses.
À cette époque, sous la présidence de Vincent Auriol, du parti politique SFIO, qui deviendra le parti socialiste en 1969, la France est encore dans une période difficile, la guerre n'est terminée que depuis sept ans et tout est à refaire et reconstruire, la politique est chaotique, les querelles de partis laissent le pays sur la touche, la dette colossale de guerre empêche une reconstruction massive, ce que fera De Gaulle dès 1959.
La population commence à émerger du cauchemar hitlérien, l'occupation a fait énormément de dégâts social et la période d'épuration, qui a suivi, encore plus.
Mon père, un temps chauffeur de la Présidence à son retour d'Allemagne, est incorporé au groupement de gendarmerie de Courbevoie, département de la Seine qui porte le numéro 75.
Par la suite, fort de la division du département de la Seine-et-Oise, Courbevoie basculera dans le département des Hauts-de-Seine sous le numéro 92, la ville de Paris devenant la seule ville de France a n'être assimilé qu'à un seul département.
Le hasard a fait que je suis né 6 rue Puget dans le 18 ème arrondissement de Paris, les obligations militaires de mon père, à l'époque, et les possibles rumeurs découlant qu'un de mes frères est né en Allemagne en 1947, font que j'ai été déclaré à Courbevoie deux jours plus tard.
Sur cette photo il y a ma sœur aînée Ghislaine, née le 30 Mai 1944 à Ivry-sur-Seine, alors aussi intégrée dans le département de la Seine, puis mon frère aîné Michel, né le 15 Août 1947 à Überherrn, en Sarre (Allemagne) alors occupée par un contingent de troupes françaises.
Puis juste derrière moi mon frère Gérard né le 14 Décembre 1948 à Courbevoie.
Je suis donc au bout, en barboteuse — que j'ai portée jusqu'à l'âge de trois ans — à tenir une boite en métal et l'air pas content du tout, déjà à cette époque j'avais mon caractère à la con qui ne me quittera jamais.
Cette photo a été prise dans les bacs à sable de l'avenue Gambetta, près de La Défense, qui n'était qu'un vaste rond-point, là où la ville avait grillagé afin que les enfants puissent s'épanouir sans se sauver dans la rue. Du moins cette partie de l'avenue, l'autre, en direction de la place Charras, étant réservée au marché deux fois par semaine.
Ce qui n'a absolument plus rien à voir avec ce que c'est devenu aujourd'hui.
Place de la Défense 1950.
En ces lieux, dans le début des années 1950, nous y jouions, les enfants de l'époque étant souvent dehors à travers les rues et jardins publics très nombreux.
La vie des gosses d'antan n'a plus rien à voir avec celle des gosses de maintenant, il n'y avait pas la télévision dans chaque foyer, chère à l'achat c'était hors de portée des ménages modestes, les crédits à la consommation n'existaient pas. Il n'y avait le téléphone que dans le bureau du vaguemestre de la caserne, pas de réfrigérateur, une glacière dans laquelle on y insérait un pain de glace acheté au glacier qui passait deux fois la semaine.
Il n'y avait pas de machine à laver le linge, encore moins la vaisselle, pas d'aspirateur non plus, les vitrages n'étaient pas double, quand le vitrier passait dans la rue, régulièrement, on lui achetait une vitre à remplacer par du mastic, c'était un de nos "travaux" de gosse que de faire les joints au bord des fenêtres.
D'ailleurs les gosses participaient beaucoup aux tâches ménagères, quand on nous trouvait bien sûr, ces jours dits nous prenions la poudre d'escampette pour ne pas avoir de corvée. Les matières plastiques n'existaient pas à l'échelle industrielle, nous en avions une usine pas loin de chez nous, c'était la Bakélite, peu utilisée pour le fonctionnement des ménages nous en récupérions des morceaux auprès des ouvriers qui nous en passaient quelques chutes, histoire de nous amuser, je me rappelle de la mauvaise odeur de ce plastique.
Nos vêtements étaient en coton et en lin, les chaussettes de laine qui nous tombaient régulièrement sur les chevilles s'usaient très vite, mais à cette époque on les reprisait au fil de lin, les chaussures étaient en cuir, de plus ou moins bonne qualité fonction du niveau de vie, j'avais souvent des sandales, même en plein hiver, et des culottes courtes.
Les vêtements encore en bon état des uns faisaient des vêtement pour d'autres, de la famille bien entendu, comme chez nous c'était souvent les vaches maigres j'ai hérité, pendant des années, des fringues de mes frangins ainés.
Novembre 1954.
J'ai perdu la place de cadet, mais je suis toujours en culotte courte et en sandale, je n'ai jamais compris le pourquoi de ce régime particulier de "défaveur". (Voir mon livre ADHOMO tome 3 ou "Onze métiers — Cent galères" tome 1)
Nous avions un coiffeur dans la rue Louis Blanc, Lehen il s'appelait, il nous faisait assoir sur une planche en appui sur les accoudoirs d'un des fauteuil pour adulte, puis nous dégageait généreusement le crâne, à l'aide de sa tondeuse mécanique à main, surtout autour des oreilles, ce qui se voit bien sur la photo, je suis le seul en culotte courte, pas difficile de me trouver.
C'était très peu de temps avant que nous n'allions en Bretagne, en famille, au milieu des vaches, des cochons et des engins agricoles, deux tracteurs à moteur, des charrettes tirées par des chevaux, et une batteuse mécanique.
Plusieurs périodes campagnardes qui m'ont laissé des souvenirs impérissables.
La suite dans quelques jours, je vais vous raconter tout ça sur plusieurs mois, étape par étape.
Sinon vous pouvez découvrir la même chose, mais en plus détaillé et en plus "spécial" à lire dans ma série ADHOMO, ou ma série "Onze métiers — Cent galères".
Bonne soirée à tous.
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